jeudi 14 avril 2011

Campagne, urbanisme, leurre

En ce moment, une campagne municipale, et donc enthousiaste, vante les mérites de dix ans de travaux urbains, en comparant deux photographies de 2001 et de 2011, d'une part, des quais de Rhone, d'autre part, de la Duchère. Avec quelques photos, et quelques mots, on pave de bonnes intentions tous les chantiers du monde ; malheureusement, la plasitification du paysage ne se termine pas toujours aussi bien. Et ce n'est pas parce que, la prime à la casse aidant, des vieux modèles de voiture ont été remplacés par des neufs, ou par des vélos et du gazon, que tout va pour le mieux. On aurait aimé que le même travail de comparaison "objective" soit appliqué aux environs de l'Ecole Normale Supérieure qui, anciennement, n'avait pas encore trop honte de se dire Lettres et Sciences Humaines. Il suffirait pour cela de mettre en parallèle les friches d'il y a deux ans, et l'actuel chantier permanent. L'oeil curieux et imprécis de votre serviteur s'est appliqué à dénombrer une quinzaine d'immeubles rivalisant d'immondices. Le béton coule à flots ; si on veut encore s'étonner du magnifique jardin de l'école, il vaut mieux ne pas trop lever les yeux ; on croirait que les grues vont nous tomber dessus, ou déverser sur nous une sorte de mélange affreux ; on sait du béton par expérience qu'il ne tarde jamais à succéder au parler creux,  qui anime notre quotidien : optimisation, croissance, développement durable, responsabilité, ou Labex. Déjà, notre environnement intellectuel est passablement enlaidi. Il restait encore le jardin. Jusqu'à quand ? Si quelque chose s'étend, en ce moment, c'est bien ce que M. Lordon appelle en d'autres lieux "le domaine de la régression", puisque la réflexion elle-même en fait partie.
On pourrait faire un bilan tout à fait catastrophique de tout ce que le bati d'un immeuble engage : disparition irréversible de terres de qualité, qui partent au remblais pour remplir les poches du premier opportuniste qui aura décidé de s'approprier le terrain (généralement, une banque, et une entreprise de gestion des déchets, qui trouve du minerai pas cher) ; évidage des sols, pour pouvoir poser les fondations. La nappe en prend à chaque fois pour son compte. Ne parlons pas du paysage ; quelques pancartes fluorescentes essaient nous donner l'impression qu'une butte où quelques arbres chétifs qui se courrent après font un "espace vert".  En fait, cela fait réellement un espace vert, mais la question est : est-ce que c'est de ce genre de paysage assisté dont nous voulons ? Il y a quelques mois, on pouvait goûter au plaisir, assez simple, de se faire un bouquet de fleurs spontanées. Mais, on ne sait pas trop pourquoi, par une de ces lubies qui a moins de raisons que la plus stupide des croyances, les Responsables sont persuadés qu'il faut tout applatir. Ou l'on se doute, sans trop le vouloir tant les conséquences pour le peu d'illusions que l'on continue de vouloir entretenir à propos de notre monde sont moralement désastreuses, qu'il y a là derrière comme l'idée qu'un bouquet de fleur composé à l'humeur du passager ne se monnaie pas. La propagande sur les vertus thérapeutiques des plantes a un peu le même sens : on ne ferait pas tout ce bruit, si, à l'issue, il n'y avait pas du dentifrice, des médicaments et du shampoing. Comme quoi là aussi il faut regarder droit.
C'est sûr, il y a du vert : un stade de football, avec une pelouse en synthétique. Un petit espace enfant, avec des copeaux de bois. La nature est un bel écrin.On continuera d'entretenir un parc de 105 hectares comme une preuve, en effet irréfutable, qu'il y a du vert, que la nature est bien là. La question reste, de savoir si c'est bien de ce type de répartition de l'environnement auquel on aspire.

Jardiner dans ces conditions est à la fois gai et triste. On garde par-devers soi, l'impression désagréable que c'est plus un geste désespéré, destiné à retenir la progression des choses, qu'une activité qui regarde loin. Et difficile d'oublier tout cela, quand le fond sonore de notre semis, n'est plus celui du merle, mais celui de la grue.

Nous verrons bientôt la suite.